Etude sur l’élevage du Tarin des aulnes (Carduelis spinus) en nouvelles couleurs
JM EYTORFF
Juge International O.M.J ( C.O.M) Faune Européenne et Hybrides
Responsable de Section Faune Européenne et Hybride de la C.N.J.FLorsque dans les années 70 sont apparues les premières mutations chez le tarin des aulnes, peu d’éleveurs imaginaient que ce sympathique fringillidé présenterait après quelques décennies une telle diversité de couleurs. Le travail, la sélection, la curiosité des éleveurs de la spécialité contribues à élargir la gamme des variétés domestiquées, et font du Tarin des aulnes, l’espèce la plus intéressante à élever lorsque l’on souhaite combiner le plaisir de l’élevage et la recherche génétique.
Permettez-moi de faire un petit historique des mutations apparues chez cette espèce.
La toute première mutation découverte fut comme chez bien des espèces, la mutation brune (facteur lié au sexe et récessif). Dans la foulée, un éleveur néerlandais, Dick den Hood, fit l’acquisition d’un sujet vert présentant une dilution de l’eumélanine qu’il appela « pastel ». Les accouplements réalisés avec cette mutation démontrèrent que le facteur « pastel » était dominant autosomal et non lié au sexe et recessif comme chez le canari. Bien des années plus tard, la COM, afin d’éviter toute confusion avec le véritable facteur pastel , décida d’appeler cette mutation :vert dilué. La mutation Verte diluée est cependant encore appelée Pastel dans certains pays, alors que le facteur Pastel (lié au sexe et récessif existe également chez le tarin des aulnes).
La combinaison du brun avec le vert dilué, permit d’obtenir par sélection le brun dilué. L’accouplement mâle Vert dilué X femelle brune donne effectivement des jeunes femelles vertes et vertes diluées, et des jeunes mâles verts porteur de brun et vert dilué porteurs de brun. Ce sont ces mâles verts dilués porteurs de brun qui permirent d’obtenir les premiers brun dilués. Pour mémoire, l’accouplement mâle vert dilué porteur de brun X femelle brune donne des femelles : verte, vert dilué, brun et brun dilué. Et des mâles : Vert porteur de brun, vert dilué porteur de brun, brun, et brun dilué.
A l’époque beaucoup pensaient que dominant autosomal X dominant autosomal ne pouvait pas produire de jeunes en se basant sur les échecs connus en cas d’accouplement dominant X dominant (cas du facteur huppé chez le gloster). C’était une erreur, car toujours grâce à la curiosité de certains éleveurs, la combinaison vert dilué X vert dilué donna naissance aux premiers doubles dilués verts,. Il suffisait ensuite d’accoupler brun dilué X brun dilué pour obtenir le double dilué brun, ce qui ne tarda pas.
Le temps passa, et un sujet femelle en mutation agate (facteur lié au sexe et récessif), apparue dans un élevage. Cette nouveauté occasionna le franchissement d’une nouvelle étape. La combinaison du brun avec l’agate donna des verts porteurs d’agate et de brun. Le crossing over et la chance provoqua la naissance d’une nouvelle mutation : l’isabelle.
La suite est connue, et nous avons désormais en élevage, une gamme impressionnante de mutations de couleurs : Le brun, l’agate, l’isabelle, le vert dilué, le brun dilué, l’agate diluée, l’isabelle diluée, le double dilué vert, le double dilué brun.
En 2003, après déjà bien des années d’expériences avec le tarin des aulnes en mutations (j’ai débuté son élevage en mutations en 1978, et publié il y a quelques années dans « Les oiseaux du Monde » des articles sur l’étude du tarin des aulnes en mutations de couleurs), je décidais de poursuivre l’aventure et de tenter l’obtention d’un sujet double dilué agate, voire un double dilué isabelle. Jusqu’alors les différents échanges que j’avais pu avoir avec d’autres éleveurs expérimentés de la spécialité, laissaient entrevoir de faibles chances de succès. On parlait de mortalité dans l’œuf liée à la fragilité des embryons, de mortalité à la naissance, de troubles du comportement chez les jeunes.
En accouplant un mâle agate dilué porteur d’isabelle avec une femelle isabelle diluée, je me disais qu’avec un peu de chance….. Et en élevage, indépendamment de la qualité des installations, de la souche, de l’alimentation. du temps consacré à l’observation, il faut également de la chance.
Avec le même esprit, j’accouplais un mâle isabelle dilué avec une femelle isabelle diluée afin d’obtenir des doubles dilués isabelle. De ce couple, j’obtins 2 couvées et aucun jeune. Lorsque les œufs étaient fécondés, les jeunes mourraient dans l’œuf.
Le couple agate dilué X Isabelle dilué me donna une première couvée de 5 œufs fin avril, tous clairs. J’attribuais l’infécondité de cette première ronde à la jeunesse des oiseaux. En mai, la femelle isabelle diluée recommença une deuxième ponte. Sur les 4 œufs déposés dans le nid, deux semblaient fécondés, mais je préférais ne pas pousser trop loin le contrôle du nid du fait de la nervosité des parents.
Après 13 jours, la première coquille reposait sur le sol. Je dus patienter jusqu’au lendemain pour faire un contrôle du nid car la femelle ne bougeait pas d’une plume. Avec un miroir, je pouvais observer deux poussins particulièrement clairs (peau et duvet). Je pensais à des isabelles dilués. A 7 jours, lors du baguage, je me disais qu effectivement j’avais deux isabelles dilués et qu’il faudrait encore patienter pour voir un double dilué agate ou un double dilué isabelle. Je bague toujours vers 19H, les bagues sont recouvertes de sparadrap, et je limite ainsi les risques de dé baguage. Confiant, car cette pratique me donne pratiquement 100% de succès, je passais faire un contrôle de la volière un quart d’heure plus tard. A mon grand désarroi, les deux jeunes gisaient par terre, non débagués, les parents les ayant jetés du nid, ne pouvant ôter les anneaux d’aluminium. Je replaçais les jeunes dans le nid, et attendais une dizaine de minutes. La femelle se replaçait sur le nid. Je pensais que cet incident était sans conséquences. Par acquis de conscience je repassais un quart d’heure plus tard. Les jeunes étaient à nouveau au sol, mais cette fois, je constatais que les pattes étaient brisées. Les parents ne pouvant débaguer les jeunes s’étaient acharnés sur les pattes des oisillons. Je pensais alors que tout était perdu. Cependant, ne baissant pas les bras, je décidais de couper les bagues, désinfectait les plaies, repositionnais les pattes par rapport aux fractures et plaçais les jeunes dans le nid en veillant à conserver l’alignement des pattes. Je savais que la consolidation des cartilages était rapide chez les jeunes oiseaux, mais je dois reconnaître qu’à ce moment je n’y croyais pas vraiment, et je faisais pratiquement une croix sur mes isabelles. Les jeunes furent acceptés et conservés au nid, il restait donc à attendre.
Les jours passèrent, et les jeunes étaient toujours au nid et en vie, car de temps en temps, je pouvais apercevoir leur tête lorsque la femelle les nourrissait.
A quinze jours, contre toute attente, le premier jeune sortit du nid, sans présenter de déformation aux pattes. Le jour suivant, le deuxième jeune était également sur le perchoir, indemne. La femelle avait refais en parallèle de l’élevage des jeunes un deuxième nid et arrachée toutes les plumes du dos de ses jeunes pour en tapisser le fond. L’apparence des jeunes était celle de deux isabelles, mais je commençais à me poser quelques questions en observant la présence d’une couleur gris charbon à l’extrémité des rémiges et des rectrices en cours de croissance. Au fil des jours, les plumes du dos repoussaient mais avec une dominante grise verte, je me disais que mes « isabelles » étaient plutôt des agates. A part le dos, l’ensemble du plumage était à dominante jaune strié de gris clair.
Après le sevrage et surtout la mue, j’avais la confirmation que je n’avais pas élevé des isabelles. L’un des deux jeunes était à dominante jaune, avec des striures grises et un dos gris verdâtre, l’autre était différent et présentait plus de mélanine et moins de lipochrome. Le premier jeune était un double dilué agate, l’autre jeune est une mutation en cours d’identification. Les deux jeunes étaient des femelles. Les résultats étaient spectaculaires et démontraient que l’accouplement Agate dilué X Isabelle dilué pouvait produire des agates doubles dilués, avec un peu de chance…
Après 2003, la saison 2004, fût l’année des expériences avec l’ivoire et j’ai eu la chance de voir naître dans mon élevage des sujets ivoires, ivoires dilués et ivoires doubles dilués.
La saison 2005, a été à l’image des saisons 2004 et 2003, riche en émotion et en surprises, jugez par vous-même :
Mon objectif en effet, était d’obtenir de nouvelles couleurs en combinant le facteur ivoire avec les mutations classiques reconnues par la C.O.M, le brun, l’Agate, l’Isabelle, ou encore le facteur dilué.
Divers accouplements étaient réalisés lors de la période hivernale, et entre autres quelques paires comme :
• Mâle vert (phénotype sauvage) porteur d’isabelle, de brun, d’agate et d’ivoire X femelle ivoire
• Mâle vert (phénotype sauvage) porteur d’isabelle, de brun, d’agate et d’ivoire X Femelle ivoire diluée,
• Mâle vert dilué porteur d’isabelle, de brun, d’agate et d’ivoire X Femelle ivoire diluée
Pour rappel :
L’isabelle, le brun, l’agate et l’ivoire sont des facteurs récessifs et liés au sexe
Le facteur dilué est par contre dominant autosomal.
• L’accouplement mâle Vert (phénotype sauvage) porteur d’isabelle, de brun, d’agate et d’ivoire X femelle Ivoire
Peut en effet donner les résultats suivants à condition d’obtenir un crossing over, ce qui est loin d’être garanti :
Pour mémoire, le crossing over est l’échange de segments entre deux chromosomes appariés, provoquant un enjambement. Dans ce cas deux caractères relevant d’un même chromosome peuvent alors se séparer. Inversement, deux caractères qui relevaient de deux chromosomes différents peuvent se retrouver liés.
Jeunes femelles :
Verte
Isabelle
Brun
Agate
Ivoire
Isabelle ivoire
Brun ivoire
Agate ivoireJeunes mâles :
Vert (phénotype sauvage) porteur d’ivoire
Ivoire
Vert (phénotype sauvage) porteur d’isabelle,de brun, d’agate et d’ivoire
Vert (phénotype sauvage) porteur de brun et d’ivoire
Vert (phénotype sauvage) porteur d’agate et d’ivoire.• L’accouplement mâle Vert (phénotype sauvage) porteur d’isabelle, de brun, d’agate et d’ivoire X femelle Ivoire diluée
Peut en effet donner les résultats suivants à condition toujours d’obtenir un crossing over en ce qui concerne le facteur ivoire (isabelle ivoire, brun ivoire, agate ivoire):
Jeunes femelles :
-Verte
-Isabelle
-Brun
-Agate
-Ivoire
-Isabelle ivoire
-Brun ivoire
-Agate ivoire
-Verte diluée
-Isabelle diluée
-Brune diluée
-Agate diluée
-Ivoire diluée
-Isabelle ivoire diluée
-Brun ivoire diluée
-Agate ivoire diluéeJeunes mâles :
-Vert (phénotype sauvage) porteur d’ivoire
-Ivoire
-Vert (phénotype sauvage) porteur d’isabelle, de brun, d’agate et d’ivoire
-Vert (phénotype sauvage) porteur de brun et d’ivoire
-Vert (phénotype sauvage) porteur d’agate et d’ivoire.
-Vert dilué porteur d’ivoire
-Ivoire dilué
-Vert dilué porteur d’isabelle, de brun, d’agate et d’ivoire
-Vert dilué porteur de brun et d’ivoire
-Vert dilué porteur d’agate et d’ivoire.L’éventail de possibilités est en théorie impressionnant. Il faut cependant toujours beaucoup de chance et toujours compter sur le crossing over.
• L’accouplement mâle vert dilué porteur d’isabelle, de brun, d’agate et d’ivoire X femelle Ivoire dilué
Peut en effet donner les résultats suivants, à condition toujours d’obtenir un crossing over en ce qui concerne le facteur ivoire (isabelle ivoire, brun ivoire, agate ivoire, isabelle diluée ivoire, agate diluée ivoire, brune diluée ivoire):
Jeunes femelles :
-Verte
-Verte diluée
-Isabelle
-Isabelle diluée
-Brun
-Brun diluée
-Agate
-Agate diluée
-Ivoire
-Ivoire diluée
-Isabelle ivoire
-Isabelle ivoire diluée
-Brun ivoire
-Brun ivoire diluée
-Agate ivoire
-Agate ivoire diluée
-Double diluée verte
-Double diluée brun
-Double diluée agate
-Double diluée isabelle
-Double diluée ivoire
-Double diluée brun ivoire
-Double diluée agate ivoire
-Double diluée isabelle ivoireJeunes mâles :
Vert (phénotype sauvage) porteur d’ivoire
Ivoire
Vert (phénotype sauvage) porteur d’isabelle, de brun, d’agate et d’ivoire
Vert (phénotype sauvage) porteur de brun et d’ivoire
Vert (phénotype sauvage) porteur d’agate et d’ivoire.
Ivoire dilué
Vert dilué porteur d’isabelle, de brun, d’agate et d’ivoire
Vert dilué porteur de brun et d’ivoire
Vert dilué porteur d’agate et d’ivoire.
Double dilué ivoire
Double dilué vert porteur d’isabelle, de brun, d’agate et d’ivoire
Double dilué vert porteur de brun et d’ivoire
Double dilué vert porteur d’agate et d’ivoire.
Double dilué vert porteur d’ivoireBien entendu, il y a la théorie et la réalité, et le facteur chance doit intervenir pour que de nouvelles mutations apparaissent.
J’ai eu cette chance, car quelques uns des sujets recherchés sont nés dans mon élevage. De nouvelles mutations comme le brun dilué ivoire, le brun ivoire, le double dilué ivoire et surtout le double dilué agate ivoire sont désormais fixées ; Vous trouverez ci-joint quelques photos représentant certains sujets en couleur après la mue juvénile.
Pour les avoir observé en élevage ou élevé personnellement, les mutations suivantes existent désormais chez le tarin des aulnes (Carduelis spinus) :
• Brun
• Agate
• Isabelle
• Vert dilué
• Brun dilué
• Agate diluée
• Isabelle dilué
• Double dilué vert
• Double dilué brun
• Double dilué agate
• ivoire
• Brun ivoire
• Agate ivoire
• Ivoire dilué
• Brun dilué ivoire
• Agate diluée ivoire
• Isabelle diluée ivoire
• Double dilué ivoire
• Double dilué brun ivoire
• Double dilué agate ivoireJe n’ai pas encore eu la chance de contempler le double dilué isabelle, le double dilué isabelle ivoire, et l’Isabelle ivoire, mais cela ne tardera certainement pas, et pourquoi pas dès la saison 2006.
Il reste à rêver à la découverte de la mutation bleue qui donnera toutes les couleurs déjà fixées avec le facteur blanc. Car l’ivoire est appelé à tort « bleu » . J’espère qu’un jour elle apparaîtra dans l’un de nos élevages de Tarins des aulnes.
Voilà en quelques lignes pourquoi à mon sens, le tarin des aulnes en mutations de couleurs est certainement l’espèce appartenant à la Faune Européenne, la plus intéressante aussi bien au niveau de l’élevage et qu’au niveau scientifique. Le Chardonneret, lui aussi connaît un essor phénoménal, sujet à aborder lors d’un prochain article.